Écrivain

Portraits de Max Fullenbaum par Albana Ejupi
Portraits de Max Fullenbaum par Albana Ejupi

Livre Textes à conquérir de Max fullenbaum

Textes à conquérir – Max  Fullenbaum

« approche mécréant dis parle éructe comme un torrent le film pour ne pas parler entre la poire et le fromage du reste qui broie de l’enveloppe d’une peau d’orange qui pèle dans l’oreille de celui qui n’écoute que lui-même qui dit je vais mourir et ceux-là habillés de vie quotidienne ne viendront pas voir la figure de cire occupés qu’ils sont à n’écouter que des bruits les bruits du temps qu’ils veulent oublier car il détruit les suffisances quand il dilue le souvenir alors tourne la tête et feins… »

Essayiste & poète, Max Fullenbaum s’est fait connaître par Le petit livre des casseurs chez Mille et une nuits (1994) et Titanic banlieue, deux objets littéraires hors du commun qui s’attaquaient au douloureux problème de nos sociétés modernes. Mais c’est sans conteste Mohair, poème-chant à la mémoire de la Shoah qui marqua le plus les esprits.
Avec ces Textes à conquérir, on retrouve la gravité des sujets chers à l’auteur avec une légèreté qui donne un phrasé décalé, une musique unique et un panorama de possibles littéralités marquant ici la langue française dans son intégrité.

135 x 215 – 136 p. 13 €   / Parution : 15 juin 2018

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Traces et passages, la ponctuation dans Mohair et Textes à conquérir de Max Fullenbaum

Par Noro RAKOTOBE D’ALBERTO

L’équivalence célèbre que Francis Ponge établit entre « parti-pris des choses », « PPC » et « compte-tenu des mots 1 », « CTM » pourrait aussi s’appliquer, mutatis mutandis, à quelques aspects de l’œuvre de Max Fullenbaum. Cet auteur contemporain accorde une place importante à ce qui pourrait être associé au « rien », à la
petite chose jugée insignifiante par le regard blasé qui ne s’attarde pas. Fullenbaum accorde une grande attention à chaque espace graphique de la page de son écriture. Il rend compte des mots comme de la ponctuation de manière minutieuse. Ainsi, selon le romancier et poète, la ville nouvelle de mots que constitue Le Petit livre des casseurs 2 comporterait quatre mille huit-cent quatre-vingt-dix-neuf mots. Chaque mot, chaque blanc, chaque élément de ponctuation et même certains accents pèsent. Il incombe à la responsabilité de l’écrivain de les utiliser. « Compte » est alors à prendre dans un sens mathématique et éthique. Mais son sens étymologique narratif pourrait aussi être convoqué. Fullenbaum associe parfois certains de ses textes à des « contes » philosophiques. Dans Mohair 3 et dans Textes à conquérir 4 , deux des dernières parutions de l’auteur, le travail sur la ponctuation permet de réfléchir aux motifs de la trace et du passage 5 reliés à la thématique de la création. La ponctuation devient l’indice invisibilisé qui brille par sa quasi-absence d’un discours qui met le lecteur au travail. Il s’agit alors de cerner comment la ponctuation devient dans Mohair et Textes à conquérir la trace de l’innommable, du « silence indicible 6 ». La ponctuation constitue le code pour matérialiser les relations et l’ordre entre les mots. Elle marque les passages, les pauses, les unions ou désunions, qu’il s’agisse des points de suspension, du point final ou du tiret etc. S’interroger sur la ponctuation dans Mohair et dans Textes à conquérir permet ainsi d’en explorer plusieurs enjeux majeurs d’abord à travers la conquête de l’air et du lecteur. Ensuite, l’emploi plastique du blanc et de l’espace iconographique de la page conduit aussi à réfléchir à la manière de signifier ce qui a du mal à se dire. Enfin, nous verrons comment l’usage par Max Fullenbaum de signes diacritiques aussi ténus qu’un « umlaut », le mot allemand pour « tréma » ou l’emploi parallèle des tirets permettent de revenir sur la perception du monde à travers notamment la création de néologismes ou la matérialisation de hiatus.

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La presse en parle :

Les Editions du Littéraire, Gérard-Georges Lemaire, 10 janvier 2019

Cet écrivain chevronné né en 1937 à Paris n’a nullement peur de récupérer des formes d’écriture qui ont fait fleurette pendant les années 197o. Pas de points, pas de points virgules, en fait aucune ponctuation, mais malgré tout une apologie des points de suspension, qui n’apparaissent jamais. L’ouvrage n’en est pas pour autant abscons. Il se lit même avec (dans) une sorte d’ambiguïté, puisqu’il oscille entre la prose et la poésie. Il s’agit là de plusieurs textes que Fullenbaum a classé selon son caprice. Le premier, baptisé « Champagne » est une merveilleuse digression a partir de la beauté et de la nature fabuleuse de ce grand vin effervescent. La seconde partie est intitulée « premier temps du premier jour » et donne le sentiment d’être un périple autobiographique, depuis la naissance (« la mort enfonça sa voyelle dans la gorge je criai j’étais né ») jusqu’au hiatus qui paraît se situer entre deux mondes, deux langues, deux cultures. Puis le hiatus révélé s’étendent d’autres espaces, Au cours d’un voyage en train dont on ne sait s’il est réel ou imaginaire. Le parcours de l’être que l’auteur dévoile se poursuit dans une sorte de vision hallucinatoire et qui se réfère pourtant à des expériences bien concrètes. Au fil de ce récit, le lecteur rencontre un certain point l’homme d’écriture qui se noircit les doigts. Ce rêve éveillé dévoile et la beauté et l’horreur, qui ne sont pas disjoints : elles appartiennent au sentiment profond des êtres et des choses qui nous décrit l’auteur. Puis vient le moment pour Max Fullenbaum de méditer sur la jeunesse et la vieillesse dans « le témoin », grand chapitre où il renferme des souvenirs souvent triviaux et aussi des scènes monstrueuses de tableaux d’écorchés. Enfin dans le chapitre qui a pour titre « samuel ou le détecteur de la vie antérieure », il tisse la trame du passage de témoin entre les générations. Là, Samuel se penche sur la guerre du Péloponnèse comme sur la dernière guerre, sur les grands auteurs qui l’ont accompagné au cours de son existence. C’est un livre très prenant, qui doit se lire autrement qu’une fiction commune, mais qui a sa véritable puissance et sa limpidité.

Les Editions du Littéraire, Gérard-Georges Lemaire, 09 septembre 2018

Pas de ponctuation, pas de majuscules, une narration qui se devine par le tressage des séquences enchevêtrés à mesure que progresse la lecture. L’auteur va bien plus loin que Samuel Beckett et que Nathalie Sarraute et l’on retrouve dans ses pages l’esprit de la littérature d’avant-garde des années 1970-1980. Illisible ? Non pas. On finit non pas trouver un ou plusieurs fils d’Ariane, mais des récurrences permettant de discerner des sujets qui hantent l’auteur et nourrissent sa fiction : la mort (son héros – son narrateur – pense qu’il est mort avant de naître, fournissant une autre interprétation de l’homme qui commence son chemin vers sa fin en naissant), le père dont on ne perçoit pas les contours, mais dont la présence est obsédante, la guerre aussi (avec les bombardiers à la fin), qui a aussi laissé une empreinte profonde. Bien sûr, on ne parviendra pas reconstituer ce qui serait la structure du récit, mais on est frappé par le phrasé de l’auteur, qui sait nous subjuguer sans nous fournir forcément la clef de l’énigme de son aventure intérieure dans son intégralité.

Hiatus pour vivants en disparition, Jean-Paul Gavard Perret, 21 août 2018

On ne se remet jamais de l’histoire, surtout lorsque sous Hitler on avait un nom que l’auteur nomme « inflammable ». Pour autant « Textes à conquérir » n’est pas d’un énième livre sur le Shoah. Mais sur ce qu’elle accorde aux survivants qui comme l’auteur y ont échappé de justesse.  Et pour dire le désastre Fullenbaum, plutôt que d’étouffer la langue, la bourre de hiatus syntaxiques afin que les temps se mélangent. Il y a hier et aujourd’hui mais non à part : en crocs en jambes.

C’est à la fois ambitieux, angoissant, drôle, terrible. Parfois une seule phrase suffit pour tout comprendre : « Toujours un peu d’argent sur vous pour être prêts à partir ». Car des années 40 à aujourd’hui rien ne change. Même dans le mot « ju-if » l’auteur distingue un hiatus, une coupure mais aussi un lien où le masculin et le féminin se mêlent.

Existe là quelque chose d’irréductible. Et ce pour une raison majeure et un défi : la littérature ici ne se recopie pas, elle s’invente et progresse. Elle indique un passage ou une traversée au moment où le texte semble appartenir non à un ordre de ce qui fut ou de ce qui est mais de ce qui reste en devenir dans les jeux de rapprochements et césures.

Il convient en conséquence de se laisser aspirer par la quadrature d’un livre réussi où l’auteur tente de refaire surface en ses lignes de forces. Le caractère mimétique de ce qui tient en partie d’une autofiction est renvoyé à de nouveaux abymes.

Un tel texte prouve par ses empreintes que la littérature comme l’existence ne doit pas se vivre dans la queue  leu leu : car à suivre le monde tout se gâte.

Et Fullenbaum s’érige en maître de virilité là où la fiction devient métaphore quasiment plus physique que métaphysique. Il remonte et démonte la topographie de l’existence et du monde là où il fait basculer la mémoire par ce corps-écriture, mince filet qui – parfois –  à travers ses interstices – fait dégorger des repères inattendus.

Surgit, des vocables les plus simples, une étrange intensité et un émoi donné par la cassure de construction. Fullenbaum crée une ouverture. Elle souligne le silence pour mieux dire et voir mieux la solitude, le cercle de la clôture. Nulle possibilité de négligence, rêverie, oubli ou accident de parcours.

A l’impossible tout le monde est tenu ou plutôt retenu en suspens dans l’espace et en un étrange cours afin de suggérer l’invisible et d’épouser le mouvement imperceptible de la catastrophe d’hier toujours prête à renaître de ses cendres.

C’est pourquoi l’auteur refuse toute « neutralité » à l’écriture sans être pour autant impudique : voici des traces dont on ignore sinon tout du moins beaucoup.

L’éloignement possède ses paliers, la proximité ses bornes. Demeure chemin effectué et celui qui reste à parcourir.

Bouche béante, Jean-paul Gavard-Perret, 1er juillet 2018

Que faut-il à la littérature ? Une ouverture, une ouverture qui inscrit de la dissemblance. Max Fullenbaum ne s’en prive pas. Il ne joue pas les éclusiers qui mettent les mots au niveau de la berge de lisibilité. Ses seuils ici sont dépassés et certains lecteurs peuvent l’être tout autant. Mais dans les crissements phrastiques peut s’éprouver un plaisir particulier où les coupures ne sont pas des blessures — même si le monde comme le livre en ses divers temps ne cicatrise rien, quelles que soient les périodes de guerres et de massacres des innocents.
Néanmoins, l’auteur nous lance son paradoxal “Cham­pagne pour tout le monde !” Manière de mettre certaines poussières sous des tapis douteux mais tout autant de profiter de l’état gazeux de ce type d’alcool afin de “frapper notre langue natale pour qu’elle étouffe”. Il est vrai que l’auteur est d’une certaine façon mal né ou plutôt pas à la bonne heure et la bonne place. Mais alors que Beckett quitte la langue maternelle pour ne laisser que “des hiatus entre la langue disparue”, l’auteur le fait à partir de celui du mot “ju-if” : il en fait saillir un jus de vie même si son nom de famille fut à une certaine époque et comme il l’écrit “inflammable”…

Le texte est en ce sens impitoyable mais laisse place à une circulation inédite : à l’étoile imposée succèdent des foulards choisis sans que l’histoire fasse de grand pas en avant — sinon au bord de bien des gouffres. C’est vieux comme elle. Toutefois, Fullenbaum ne désespère pas. Du moins pas en totalité. Il embrasse même des phrases rimbaldiennes pour faire bon poids. Il n’empêche que l’arrivée des ordinateurs fait une nouvelle fois le jeu des barbares. Et entre la vie telle qu’elle fut ou telle que l’auteur la reconstruit, toute une charge souterraine suit son cours. Et le bilan n’est pas forcément satisfaisant.
Mais l’écrivain court toujours comme le héros d’un célèbre film américain. Plus même car Buster Keaton — le tragique plus que le comique — lui aussi n’est pas loin. Reste tout un déplacement de la langue pour éviter des “concentrations” toujours possibles. Plus qu’un autre l’auteur sait où elles mènent. Le tout dans un creuset où — au besoin — lorsque les mots manquent il est toujours possible de trouver un “détecteur de vie antérieure”.

Qu’importe sa baké­lite d’un autre temps s’il permet de conjurer l’idée que l’Apocalypse est pour demain. Reste à “Samuel” à trouver non seulement dans ce qu’il a lu mais désormais écrit de quoi rester un auteur du terroir des régions : de ceux qui osent chanter sur un tas de fumier.
Non pour jouer les coqs hardis mais parce qu’ils ont quelque chose à dire.